Tribune : « L’animation française se refuse à n’être qu’un sous-traitant au service de géants internationaux »

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Tribune collective des Talents de l’animation, publiée sur Le Monde.fr le 1er février

L’ANIMATION FRANÇAISE DIT NON A UN CONVENTIONNEMENT AU RABAIS DES
PLATEFORMES AMERICAINES !

Nous représentons la diversité des talents du monde de la création d’animation française :
nous sommes créateur·rice·s, auteur·rice·s, producteur·rice·s, réalisateur·rice·s, technicien·ne·s, comédien·ne·s, compositeur·rice·s et nous demandons la révision des engagements d’investissement en faveur de la production indépendante d’animation française, négociés à la hâte par le CSA avec Netflix, Disney+ et Amazon Prime Video.
Le 9 décembre dernier, nous avons en effet découvert avec stupéfaction que le CSA (devenu depuis l’Arcom) avait transformé en fiasco ce qui devait représenter une formidable opportunité pour la filière animation : l’animation française a hérité d’une portion congrue des investissements des plateformes puisqu’elle ne représentera, pour les trois prochaines années, que 0,64% du chiffre d’affaires de Netflix, 0,56% de celui de Disney+ et 0%
de celui d’Amazon Prime Video ! Soit en tout et pour tout, l’équivalent de la production d’une seule série par an, pour Netflix comme pour Disney+ !
Si l’obligation générale d’investissement des plateformes dans les œuvres audiovisuelles s’élève à 16% de leur chiffre d’affaires, la clause dite de « diversité », qui devait permettre d’orienter une part substantielle des investissements des plateformes vers d’autres genres
que la fiction, a ainsi été totalement vidée de sa substance par l’Arcom.
Cette dernière n’a tenu aucun compte du rôle central du dessin animé dans l’offre, la consommation et l’attractivité des plateformes. En effet, l’animation constitue pour elles une raison essentielle d’abonnement, notamment pour les foyers avec enfants. De plus, l’animation emporte largement l’adhésion des jeunes adultes, friands de cette forme de narration. Les programmes audiovisuels d’animation représentent à eux seuls 22% de l’offre
des contenus des plateformes en Europe ! 1

L’Arcom n’a pas mesuré les enjeux culturels et industriels pour l’animation française de ces conventionnements. Depuis plus de 30 ans, l’action continue et cohérente des pouvoirs publics en faveur de l’animation a permis de bâtir une industrie française d’excellence. Grâce à un système de
soutien vertueux, notre pays est devenu l’un des fleurons de la production mondiale de dessins animés et le premier pays européen avec 300 heures de programmes audiovisuels d’animation produits par an 2, dont la fabrication est massivement réalisée sur l’ensemble du territoire français depuis une dizaine d’années. Cette production diversifiée tire sa richesse tant des adaptations de notre patrimoine littéraire et bande dessinée que des créations originales. L’animation constitue le premier secteur à l’export dans le domaine audiovisuel et nos œuvres se classent juste derrière les séries américaines sur des marchés clés comme l’Allemagne, l’Espagne ou encore l’Italie 3. Internationalement reconnue, l’animation française
est un puissant vecteur de rayonnement culturel. Elle permet aux enfants et aux adultes du monde entier d’avoir accès à une offre diversifiée, qui ne se résume pas aux dessins animés américains ou japonais, et de leur faire découvrir ainsi nos personnages et nos histoires.

Les plateformes américaines ont bien perçu l’excellence française. Entre 2016 et 2021, elles ont certes consacré à l’animation 20% de leurs investissements dans la production française mais en cantonnant la plupart du temps le producteur français à un rôle de prestataire de
services ! 4
La transposition de la directive européenne Services de Médias Audiovisuels offrait une chance d’inverser ce schéma et de pousser les plateformes à investir majoritairement dans la production française indépendante, en limitant leurs droits sur les œuvres et en permettant
aux créateurs et producteurs d’en conserver le contrôle et la propriété.
Par sa hâte à négocier des investissements au rabais, l’Arcom incite les plateformes américaines, via des niveaux de quota de production indépendante d’animation ridiculement bas, à continuer d’utiliser librement et sans contraintes les atouts français, en matière de formation, de talents et de production, et ce afin d’enrichir les catalogues dont elles sont seules propriétaires.
L’Arcom condamne ainsi l’animation française à être un sous-traitant au service de géants internationaux. En somme, tout l’inverse de l’ambition portée par les pouvoirs publics, y compris la Présidence de la République, à l’heure de la transposition de la directive européenne Services de Médias Audiovisuels.
Comment l’Arcom a-t-elle pu être aussi dénuée d’ambition pour le rayonnement national et international de nos talents ? Et comment revenir désormais sur ce renoncement ? Notre filière ne peut se permettre d’attendre trois longues années pour revoir les règles du
jeu. C’est pourquoi nous soutenons les recours qui vont être engagés auprès du Conseil d’État par nos organisations représentatives et société de gestion collective pour contester ces conventions avec les plateformes américaines signées par l’ARCOM.

Sources :
1- Observatoire Audiovisuel Européen, Animation films and TV series in Europe,
décembre 2021
2- CNC – La production audiovisuelle aidée en 2020, mai 2021
3- CNC & AnimFrance – Le marché de l’animation en 2020, novembre 2021
4- CNC, Observatoire de la vidéo à la demande, décembre 2021

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